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Discours de Mme Flavie Serrière Vincent Petit

Publié le 12 octobre 2018
Madame Sylvie CENDRE secrétaire générale de la Préfecture représentant Monsieur le Préfet de l'Aube Madame la députée, Monsieur Gaël Grosmaire représentant Monsieur le député de l'Aube, Monsieur le sénateur, cher Philippe Adnot Monsieur le Président du Conseil départemental, Madame Véronique Saublet-Saint-Mars représentant Monsieur le président de Troyes Champagne Métropole Monsieur Valéry Denis, représentant Monsieur le maire de Troyes Mesdames, Messieurs les élus Monsieur le Capitaine de Vaisseau Paul Couderc, Président de la section de l'Aube de la Société des Membres de la Légion d'Honneur, Messieurs les membres de la Légion d'honneur Monseigneur Marc Stenger Évêque de Troyes Mesdames, Messieurs, Chers amis, chère famille, Ce soir et je vous avoue avoir eu beaucoup de mal à préparer ce discours, car je me demande encore pourquoi un tel honneur m'a été accordé. Alors j'ai relu la lettre que j'ai reçue de la Grande Chancellerie de la Légion d'honneur qui explique que cette nomination est un encouragement à poursuivre mon engagement et c'est dans ce sens que je souhaite intégrer cet ordre prestigieux. Nous ne célébrons pas une personne ce soir, mais une histoire commune : celle du vitrail. Comme me l'a très gentiment écrit Yvette Vanden Bemden, ancienne secrétaire du Comité International du Corpus Vitraerum et Présidente du comité Wallon, cette nomination est une victoire pour le vitrail car les vitraux valent à présent la peine que l'on récompense ceux qui en prennent soin. Le vitrail est un engagement de toute une vie, et si vous êtes là ce soir, avec moi, c'est parce que chacun de vous, à un moment ou à un autre, a été présent et a tenu une place dans ce que je suis devenue. Un sentiment nous réuni tous aujourd'hui, celui qui m'a permis de grandir et de faire : la confiance. Confiance d'un petit garçon en maternel qui m'a fait découvrir l'amitié et l'altérité, Confiance de mes parents qui m'ont permis de poursuivre et d'accéder à mes rêves, de mes frères et soeurs qui m'ont encouragée de leurs critiques et de leur bienveillance. Confiance de mon mari qui a fait le choix de me rejoindre sur le chemin du vitrail plutôt que de poursuivre sa carrière. Confiance de mes enfants, emportés malgré eux dans le flot du vitrail. Confiance de mes amis. Toute mon histoire peut se résumer à ce mot de confiance et cela dès mes premiers pas dans le vitrail. Un beau jour, jeune étudiante de licence, je suis arrivée dans le bureau d'Alain Vinum, lui demandant de faire un stage. Je devais rester trois semaines, je suis restée 18 ans. Je n'étais pas là depuis un mois qu'il partait pour son atelier libanais me laissant le soin de poser les verrières de protection de la basilique St Urbain avec son compagnon verrier de l'époque, qui, dès Alain Vinum parti, déclara qu'il refusait de nettoyer les doublages en place à l'acétone car il craignait les solvants. Et c'est ainsi que j'entrais dans ce nouveau monde par une expérimentation : je lui proposais de nettoyer les 12 mètres de verrière de doublage au blanc de Meudon et au papier journal Heureusement, à l'époque les contingences de temps avaient moins d'importance qu'aujourd'hui et le blanc de Meudon s'avéra qq peu difficile à nettoyer dans les plombs. Mais la technique était sans danger ni pour l'opérateur ni pour les vitraux. Alain Vinum m'a ensuite confiée à son père, André Vinum qui a accepté de m'apprendre à peindre le verre. A l'ombre de la cathédrale St Pierre, j'ai fait et refait mes traits de grisaille sous le regard sévère et parfois amusé de ce Maître-Verrier d'avant guerre. Et alors j'ai commencé à entrevoir comment chaque geste, même le plus modeste, répétés, accumulé au fil des jours et des siècles, peut créer une immense oeuvre commune tissée de relations humaines. Oeuvres vécues avec d'autres nées d'un désir de Dieu il y a plusieurs centaines d'années. Le vitrail nous invite à oser désirer au-delà de notre condition humaine. Oser désirer être divin et être traité comme tel. Désir d'être accueilli et reconnu. Etre aimé. Le vitrail est à la croisée du matériel et du spirituel. Il est un carrefour. C'est une des raisons pour lesquelles je l'ai choisi pour croiser art et sciences, savoir-faire, histoire, physico-chimie des matériaux et spiritualité. J'ai arpenté le champs clos du vitrail artisanal, avec tout le poids et la richesse que suppose une culture empirique d'atelier mais mon parcours universitaire m'a permis d'aborder le vitrail avec une certaine rigueur scientifique et d'entrevoir des pans entiers de recherches totalement inexplorées. Je voulais comprendre. En continuant mon travail à l'atelier Vinum, je suis allée à Michelet en DEA d'histoire de l'Art avec Françoise Perrot, qui très vite, m'a vivement encouragée à aller passer le concours pour entrer en Maîtrise de Conservation-Restauration des Biens Culturels, section verre et vitrail. Sans sa confiance et ses encouragements je n'y serais jamais allée. Reprendre 5 ans d'étude alors que l'on en est déjà à sa 5eme année d'université peut sembler un parcours sans fin. Mais j'ai écouté la bienveillance de cette grande dame du vitrail et ai été accepté rue de Tolbiac. Merci chère Françoise. J'ai alors rencontré d'autres personnes bienveillantes qui ont ouvert mon esprit à la conservation et à la restauration : Marie Berducou, Claude Volfosky, Denis Guimard, Bertrand Lavédrine et bien d'autres, qui ont su nous transmettre la rigueur scientifique de notre discipline tout en nous donnant les outils de la réflexion déontologique. Mes pas ont bien entendu croisé ceux du Laboratoire de Recherche des Monuments Historiques où Isabelle Pallot-Frossard a toujours accueilli et encouragé mes expérimentations, jusqu'à la dernière avant son départ au C2RMF sur le nettoyage des croutes noires à l'aide d'un stylo à ultra-sons. Nous n'avons pas toujours été d'accord et j'avais la virulence inconsciente de la jeunesse. Cette autre grande dame du vitrail a toujours su veiller sur ce patrimoine et sur ceux qui y oeuvraient avec la passion, la pugnacité, la persévérance qui la caractérise. Incontournable et exigeante elle a tout mis en oeuvre pour croiser les personnes et les oeuvres, tirer vers le haut une profession récalcitrante et préserver un patrimoine fragile et menacé. Merci de m'avoir fait confiance et d'être à mes côtés aujourd'hui. Je voudrais rendre également hommage aux deux Maîtres-Verriers qui m'ont appris et avec qui j'ai beaucoup progressé : Alain Vinum et Pierre-Alain Parot. En tant que restauratrice diplômée j'ai servi de lien entre ces deux ateliers lors de de nombreuses restaurations : les vitraux de la nef de la cathédrale de Strasbourg, la rose occidentale de la cathédrale de Troyes mais aussi les vitraux des églises auboises de Magnant ou de Villeret. Alain Vinum a su accompagner mon envol et me donner le désir de Faire, dans un respect total de l'oeuvre, Pierre-Alain PAROT m'a montré l'exemple d'un atelier rigoureusement organisé et de mettre tous les moyens en oeuvre pour parvenir au bon achèvement d'un chantier. Merci de m'avoir fait partager votre amour du vitrail, malgré tout nous formons une famille. J'ai collaboré avec d'autres ateliers en France et à l'étranger et ce sont toutes ces expériences et ces connaissances accumulées qui nous ont amenés à créer notre atelier en juillet 2012 avec mon mari, engageant ainsi toute la famille dans cette périlleuse aventure du vitrail. En tant que directeur technique de formation, Emmanuel, mon mari veille à la gestion et à l'organisation de l'atelier et des chantiers. Je peux ainsi me consacrer pleinement au vitrail, aux restaurations complexes et à la création. Nous sommes aujourd'hui 15 personnes à l'atelier avec des compétences multiples et complémentaires tant en restauration et en création de vitraux, qu'en serrurerie, en structure, qu'en architecture ou en archéologie. Ces compétences sont toutes nécessaires à la bonne réalisation d'un chantier de vitrail. Je remercie mes compagnons du quotidien d'oeuvrer avec coeur aux soins du patrimoine vitrail et de mener à bien des chantiers d'envergure comme la restauration et la protection du prestigieux vitrail dit de Léon d'Oultres du transept sud de la cathédrale de Liège, des vitraux du XVI° siècle de la nef de l'église Saint Merri à Paris ou de la restauration et de la protection des vitraux du charnier de l'église Saint Etienne du Mont mais aussi de la création de vitraux d'accompagnement du mémorial de la guerre de 1914-1918 de Fey-en-Haye en Lorraine ou plus récemment les vitraux de l'église d'Aulnay. Nous essayons d'entretenir un dialogue constructif avec les conservateurs et les architectes pour pouvoir élaborer ensemble des procédés inédits de pose réversible et de trouver les meilleures solutions de restauration ou de création pour pérenniser l'oeuvre tout en lui donnant une bonne lisibilité dans le respect de son authenticité. Ainsi, nous avons pu par exemple engager une réflexion sur la conservation préventive des vitraux et des serrureries anciennes ainsi qu'une démarche de création contemporaine d'accompagnement des vitraux anciens et de l'architecture. Je voudrais remercier particulièrement les conservateurs de la DRAC Grand Est qui nous font confiance au quotidien et avec qui le dialogue est constant : Johnathan Truillet, Anne-Lise Prez, Guy Fievet ainsi que Louise Delbarre. Grâce au marché à bon de commande pour la restauration et l'entretien des vitraux parisiens nous travaillons en étroite collaboration avec la Conservation des Oeuvres d' Art Religieuses et Civiles de la ville de Paris et la DRAC Ile de France, et je tiens à remercier chaleureusement Marie-Hélène Didier, Véronique Milande, Jessica Degain et tous les autres conservateurs pour leur soutien et leur confiance. Le vitrail est une oeuvre architecturale majeure. La lumière des vitraux collabore à l'architecture elle construit un monde intérieur. L'espace est structuré par la lumière, elle en révèle les qualités, la cohérence. C'est grâce à mon passage à l'école d'architecture de Nancy que j'ai cessé de voir le vitrail uniquement comme une oeuvre d'art, un objet mais comme un élément essentiel de l'architecture. Je remercie amicalement Christian François, fondateur du Master Verre, Design et Architecture pour ses conseils et nos nombreuses discutions et collaborations, ainsi que Lorenzo Diez pour sa confiance lors de mes interventions régulières à l'école d'architecture. La clef de voûte d'un chantier en Monuments Historiques est l'architecte. Et je veux rendre un hommage particulier à Monsieur Eric Pallot, architecte en chef des monuments historiques, témoin de mes premiers pas de restauratrice il y a bien longtemps, qui m'avait confié les trois petits panneaux de vitraux de l'hôtel Juvenal des Ursins à restaurer alors que je n'étais qu'une étudiante des années 1990. Aujourd'hui nous venons de terminer la création des baies du choeur de l'église de Nogent-sur-Seine avec l'artiste Fabienne Verdier, nous restaurons ensemble les grandes baies XIX° de Saint Macloud de Bar-sur-Aube, les prestigieux vitraux XVI° de l'église d'Ervy-le-Chatel et commençons le chantier de la Cité du Vitrail. Merci de nous avoir accordé tant de confiance. Merci à tous les architectes en chef et architectes du patrimoine avec qui nous cheminons au quotidien. Merci également à tous les maires de commune, pour leur persévérance et leur courage lors des chantiers de restauration ou de création de vitraux. Merci de votre confiance et soyez assurés du plaisir que nous avons à travailler avec vous ! Ma liste de remerciement est immense car j'ai beaucoup reçu ! Je voudrais encore ajouter ma rencontre avec les représentants de la Maison Rachi et de la synagogue. Durant deux années, nous avons eu la chance de participer à cet enthousiasmante aventure de la réhabilitation de cet ensemble architecturale ! Les vitraux en hébreux et en français de la Maison Rachi illustrent parfaitement l'heureuse conjonction du monde hébraïque et de la culture champenoise. Merci à René Pitoun et à Philippe Bokobza de leur confiance ainsi qu'à toute la communauté. La spiritualité juive m'enthousiasme mais sans me faire oublier d'où je viens. Je voudrais remercier Dominique Roy recteur de la cathédrale pour son écoute toujours attentive et tous les membres d'Art Culture et Spiritualité pour nos partages stimulants. Nous sommes aujourd'hui dans le nouveau bâtiment du Conseil Départemental et sa construction a été une aventure fondatrice pour moi et pour notre Manufacture Vincent-Petit. Rien de cela n'aurait pu avoir lieu sans la confiance incroyable de Philippe Adnot, sénateur et à l'époque président du Conseil Départemental et la collaboration des architectes José Linazasoro et Christophe Ballan et de toutes les équipes du Conseil Départemental. Le vitrail fait partie intégrante de l'architecture et il dialogue avec elle. Mon idée sur ce chantier était d'affirmer que si l'on voulait que le vitrail et ses techniques anciennes perdurent dans l'habitat actuel il fallait lui donner de nouvelles qualités : thermiques, esthétiques, et de sécurité La façade de la salle Champagne rappelle les grisailles damassées au pochoir des vitraux des XVe et XVIe siècles et s'inscrit dans la longue tradition de la peinture sur verre auboise. Mais ces grands volumes de verre ont été peints sur des verres à isolation thermique renforcés, cuits, feuilletés puis assemblés en double vitrage. Les ouvrages en verre du Conseil Départemental de l'Aube tentent de montrer qu'en tant qu'élément d'architecture le vitrail peut trouver une place nouvelle dans la construction d'aujourd'hui à l'instar de ce qu'il était dans les édifices cultuels anciens. Ce chantier met également en relation restauration et processus créatif. Comment le vitrail ancien devient ressors de création. On pourrait se demander si ces oeuvres sont encore du vitrail ? Oui, puisqu'elles correspondent à la définition que Jean Lafond en faisait en 1956 : « Le vitrail est une composition décorative qui tire son effet de la translucidité de son support (...) et dont l'élément essentiel demeure jusqu'à présent le verre ». Un immense merci pour votre confiance, cher Philippe Adnot, pour cette aventure où j'ai pu porter un nouveau regard sur le vitrail. Vous m'avez laissée la liberté de créer, même si nos vues n'étaient pas toujours concordantes. Merci également pour votre engagement permanent envers le patrimoine, la culture en général, la formation supérieure et la ferveur qui vous anime à défendre et entreprendre des projets tels que la Cité du Vitrail. Merci à toute l'équipe de la Cité du Vitrail, je me tourne particulièrement vers Danièle Boeglin qui a été présente dès mes débuts, vers Nicolas Dohrmann et Anne-Claire Garbe ainsi que Béatrice Lozza. Merci à Monsieur Couderc, capitaine de Vaisseau et Président de la section de l'Aube de la Société des Membres de la Légion d'Honneur, pour avoir initié mon processus d'entrée dans cet ordre prestigieux et de m'en avoir fait l'extraordinaire surprise le 31 décembre dernier ! La beauté est dans l'oeuvre commune et vous avez tous participé à celle du vitrail. Et comment mieux exprimer toute ma gratitude à Philippe Pichery, président du Conseil Départemental qui nous accueille si chaleureusement aujourd'hui. Cher Philippe Pichery, vous êtes le gardien de notre fabuleux patrimoine et avec l'ouverture de la Cité du Vitrail en 2021 vous l'ouvrez au reste du monde. Pierre le Vieil, en 1774, louait déjà l'exceptionnel richesse de l'Aube : « Il n'est peut-être pas de canton de France qui renferme des vitres peintes aussi précieuses et en si grand nombre que la ville de Troyes en Champagne et ses environs ». Sachons protéger et transmettre ce patrimoine, porteur des valeurs de notre histoire commune. Le département de l'Aube s'y est déjà engagé et bien au delà en oeuvrant également pour la création du patrimoine de demain. Un immense merci ! Merci à tous d'avoir partagé ce moment privilégié et d'avoir eu la patience de m'écouter.