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02 décembre 2009

Figure de proue - Jean Viard - Chirurgien de la Grande Armée

Hommage à Jean Viard - chirurgien de la Grande Armée
Mussy sur Seine le 2 décembre 2009
« La victoire d'Austerlitz dont nous célébrons l'anniversaire aujourd'hui n'était que le prélude d'une épopée qui allait bouleverser l'Europe. Je fus le témoin sinon l'acteur de si nombreuses et éclatantes victoires de la Grande Armée. Je fus plus encore le témoin de la souffrance du soldat, souffrance qui mérite admiration et respect autant que le fait d'arme.
A 20 ans nous rêvions d'abattre les tyrans. Lors de la levée en masse de 1793 je rejoignis les Hussards des Alpes puis le 13ème régiment de Hussards et le15ème régiment de Dragons affecté à la défense des frontières. Je n'ai gardé que peu de souvenirs de cette première campagne d'Italie menée tambour battant. Mantoue, Montenotte, Lodi, Arcole, Rivoli révéleront le génie naissant de notre jeune général Vienne était à portée de Bonaparte et à Campo Formio la paix sera signée.
Nos pertes heureusement n'étaient pas excessives. Chirurgien de 3ème classe je ne disposais que d'une trousse portée en bandoulière, contenant garrot, scie, couteau, scalpel et nos infirmiers très peu nombreux étaient aussi très peu formés. Jean Larrey créera les ambulances volantes. Pour la première fois dans l'histoire les blessés pouvaient être ramassés sur le champ de bataille.
En 1798 j'embarque pour l'Égypte avec l'Armée d'Orient. Malte sera prise au passage. Kléber à peine débarqué prendra Alexandrie et la victoire des Pyramides sur les mamelouks nous ouvrira la route du Caire et de la Haute Égypte, mais à Aboukir notre flotte sera anéantie. Il faudra s'enfoncer dans le désert de Syrie à la poursuite d'Abdallah Pacha que nous écraserons au Mont Thabor avant de mettre le siège devant Saint Jean d'Acre. La peste nous y attendait.
Décimés nous ne pouvions plus vaincre d'autant qu'une armée turque rameutée par l'Anglais menaçait. Nous lèverons le siège de la forteresse et ferons retraite en abandonnant Jaffa, Gaza et El Arich. Dans le delta du Nil, Bonaparte vengera notre flotte en écrasant à Aboukir une autre armée turque débarquée par la flotte anglaise puis se résoudra à rejoindre la France menacée à nouveau par l'Autriche. Kléber vaincra encore à Héliopolis avant d'être assassiné et ses lieutenants défaits à Canope, Alexandrie au Caire capituleront.
Nous ne rejoindrons la France qu'en1801. Que de changements. Sauvée par Bonaparte vainqueur à Montebello et à Marengo et par Moreau vainqueur à Hohenlinden, la République avait cédé la place au Directoire. Le 1er Empire sera proclamé en 1802 mais Londres récusait toute paix d'Amiens.
L'Empereur rassemblera l'armée sur les côtes de la Manche de la Zélande à l'embouchure de la Seine. A Boulogne en 1802,1803 nos futurs Maréchaux mènent grande vie, le soldat ne dort pas à la belle étoile, mange à sa faim. Seule la dysenterie et la gale que favorisait l'humidité du pays accablait nos dragons.
Le 25 aout 1804 nous avons reçu le même jour les Aigles de nos drapeaux et les premières Légions d'honneur. Grandiose cérémonie. L'Autriche menaçant sur le Danube l'armée ramassée s'élancera en moins de 3 jours sur les routes de l'est. Volte-face unique qui en trois mois nous mènera aux portes de Vienne. La légende de la Grande Armée commençait, assombrie par la destruction à Trafalgar de nos meilleurs vaisseaux. L'Angleterre était et restera maîtresse de la mer.
Au début en 1804 et 1805 la guerre était encore une grande aventure, périlleuse mais exaltante car toute auréolée de gloire. Nos soldats ont un moral d'acier. Cette armée était probablement la meilleure et la plus redoutable. En ce 2 décembre 1804 Austerlitz en sera la preuve la plus éclatante.
Vaincue l'Autriche signe la paix de Presbourg, Alexandre se retire avec le reste de son armée mais les Prussiens persistent. Nous les surprendrons à Iéna et à Auerstedt et la cavalerie de Murat sabrera les fuyards au-delà de Weimar. Vingt jours plus tard nous entrions à Berlin.
Mais le Russe s'est ressaisie et nous attend en Pologne. Campagne harassante dans le froid et la boue, plaines immenses et marais innombrables. Toujours les Russes nous échapperont. Eylau sera une victoire sans résultat. Il fallut s'enfoncer plus à l'Est au-delà de la Vistule. La chute des forteresses de Dantzig et de Königsberg et plus encore l'éclatante victoire de Friedland décideront enfin le tsar à traiter à Tilsit. Il était temps.
Lorsque le canon s'est tu et que la terre assoiffée de sang est comme étouffée sous tant de corps brisés seul se fait entendre le murmure diffus de la souffrance qui nait et roule à l'infini troublé par le coup de feu qui punit le détrousseur de cadavre.
Servis par une science incertaine et acharnés à sauver ceux que nous ne pouvions achever nous opérions sur des tables grossières couvertes de sang , au milieu de membres coupés, dans une puanteur insupportable. Pour les plus heureux la perte de connaissance sous la douleur tenait lieu d'anesthésie. Pour les autres notre dextérité et la rapidité de nos interventions limitaient seules la durée du supplice. Le transport vers l'arrière prolongeait la souffrance et les hôpitaux en pays étranger n'étaient pour la plupart que de sordides mouroirs.
Ces blessures terribles n'impressionnaient pas pour autant ces rudes soldats qui, sachant ce qui les attendait, ne se précipitaient pas moins sur l'ennemi sabres et baïonnettes pointées et trouvaient la force de crier «vive l'empereur » .
Napoléon qui savait se montrer généreux envers ses blessés et savait rendre justice au courage de ses adversaires honorera ses chirurgiens mais ne leur accordera jamais le soutien efficace qu'ils étaient en droit d'attendre. Pourtant ces hommes de haute valeur, Jean Larrey, chirurgien en chef de la Garde, Percy, chirurgien en chef de la Grande Armée, Desgenettes chirurgien en chef de l'Armée d'Égypte surent au long des campagnes créer les compagnies d'infirmiers, les bataillons d'ambulances, un corps de chirurgiens qui sauveront tant de blessés et seront à l'origine des sociétés de Croix Rouge.
Promu lieutenant en 1807, chevalier de la Légion d'honneur en 1808, capitaine en 1809 je suis aide de camp du général de Laborde lorsque commence la campagne d'Espagne. Ce fut la plus terrible. Nous n'étions que des antéchrist pour tous ces déments qui allaient exercer une cruauté et une barbarie que rien ne saurait excuser.
Les coupables n'étaient pas les soldats mais une bande de curés à la ceinture ornée d'un crucifix, d'un couteau et d'un pistolet. Les nôtres ne furent pas en reste. Devant le spectacle de leurs camarades massacrés, empalés, crucifiés, mutilés par une population en furie ils se livrèrent à d'écoeurantes représailles avant de retrouver au combat les moeurs normales de la guerre. Ces tueurs de taillis et ces coupe-jarrets ne tenaient guère devant une troupe décidée mais les Anglais surent leur venir en aide pour nous tenir tête.
La campagne avait mal commencé. Après les désastres de Bailén et de Cintra, Napoléon passa les Pyrénées avec la Grande Armée. Tout alla très vite. Soult entre dans Burgos, Lefebvre défait l'Espagnol à Guenes et Victor à Espinossa. A Saragosse la ville sera prise maison après maison. La cavalerie de la Garde force le passage à Somorierra et nous livre Madrid. L'Europe nous sentant enlisés se soulève.
L'Empereur place son frère sur le trône d'Espagne et rejoint l'Armée d'Allemagne pour une nouvelle campagne. Eckmühl, Ratisbonne, Wagram autant de victoires que ternira l'échec d'Essling.
Un mariage scellera enfin la paix entre les couronnes impériales de France et d 'Autriche.
Restés seuls en Espagne nous entrerons au Portugal où Wellington débarquait et prendrons Lisbonne que nous devrons céder peu après. La division de Laborde se battra pas à pas et vaincra à Braga, berceau de la nation portugaise et à Opuerto sur les bords du Duero.
Plusieurs fois blessé je pus rejoindre les miens à Mussy ou la gazette nous informera de l'agonie de l'Aigle sous le linceul glacé de l'hiver russe, de la honteuse trahison de nos alliés sur les champs de bataille d'Allemagne, de l'admirable courage des Marie Louise dans la si belle et ultime campagne de France avant le coup de grâce de Waterloo.»

Chevalier de la Légion d'honneur, Jean Viard, chirurgien de la Grande Armée est né le 27 mars 1772 à Semur en Auxois et décédé le 24 décembre 1833 à Mussy sur Seine où se trouve sa sépulture.
La Légion d'honneur toute auréolée des gloires de l'Empire survivra à son fondateur et s'est identifiée à la grandeur de la France. Les faits d'armes des soldats de l'an II et de l'Empire ont marqué profondément notre histoire, notre inconscient et notre identité nationale.
Merci à Jean Viard de les avoir fait revivre aujourd'hui.
Général (2s) Paul FONT


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